dimanche 24 mai 2009

Les Bosses...


Alors qu’à la clinique Claire dorlotait son petit "Piou" comme elle l’appelait déjà, ce jour de fête de Toussaint du 1er novembre 1955 était à nul autre pareil. Alors que l’envahissement des lieux de sépultures où la tristesse accompagne le souvenir de ceux qui nous ont quittés, c’est avec une joie toute neuve et des promesses plein la tête que toute la famille s’était retrouvée aux Bosses.



Ah ! les Bosses ! Ce quartier au nom curieux de Portes les Valence. En 1955, une grande bâtisse, une ancienne ferme à l’âge indéfinissable, réunissait sous son toit cinq familles regroupées dans cinq petits logements de trois ou quatre pièces. 

Aimé et Claire habitaient le seul logement à l’étage. Une petite cuisine, deux chambres suffisaient au bonheur de mes parents.
Angèle, la mère d’Aimé occupait un appartement au rez-de-chaussée avec Paulette une de ses filles qui élevait seule son fils Jacques.Là, une grande cuisine et une salle à manger servait de lieu de vie à toute la famille. Leurs voisins, la famille Chemin, occupait un logement identique. A l'étage les deux familles se partageaient quatre chambres, deux par famille. 
Et à chaque extrémité de la maison, Madame Lézarme et Madame Yvernault occupaient un petit logement avec une petite cuisine et une seule chambre.
Bien sûr, pour l’époque, c’était confortable. Pensez, il y avait l’eau courante au robinet et l’électricité dans toutes les pièces. Et puis surtout, c’est là qu’Aimé est né, il y a quarante ans déjà…




La route nationale 7, peu fréquentée à l’époque, passait devant la maison. Derrière une rangée de tilleuls, une grande cour en terre battue et ombragée d’acacias qui a vu nombres de parties de boules, de jeux d’enfants et de réunion de famille. La bâtisse formait un L, la partie centrale, la plus grande, c’était les logements. Sur la droite une grande remise abritait le clapier où se multipliaient les dizaines de lapins, puis une ancienne écurie servait de poulailler où vivaient une trentaine de poules et de coqs. Ces animaux étaient la propriété d’Angèle, que toute la famille avait baptisée tendrement : Mémé Cocotte.

Sur la gauche de la maison, un épais bosquet de lilas, qui parfumait l’air au printemps, masquait un immense potager qu’Aimé travaillait pour toute la maisonnée.
Un lavoir avec sa pompe à main trônait au milieu de la cour, un endroit où Angèle avait encore l’habitude de venir laver son linge… pas confiance en ces machines qui vous avale vos effets, vos draps et vous les torturent dans tous les sens…
Et puis au fond de la cour, les toilettes… et quelles toilettes ! Deux cabinets turcs et un urinoir sur un mur… le tout au-dessus d’une fosse qu’il fallait vidanger régulièrement… La visite du "cureur de fosse" était toujours un moment étonnant.
 

Tôt le matin, le bruit du tracteur envahissait la maison. Une grosse citerne était attelée. Un homme grand et puissant conduisait l’engin. Il était habillé d’un grand tablier de caoutchouc noir, de gants noirs. L’originalité du travail, c’est qu’il était fait à la main. Pas de pompe mécanique ou électrique, seulement une grande perche de trois ou quatre mètres qui se terminait par un récipient qui était en fait un trophée de la dernière guerre puisque ce récipient était en fait un casque allemand.



Cette maison, je le jure, je la vois encore et je l’aime encore, mais surtout je la respire encore. Sa fraîcheur, ses odeurs où se mélangeait le lilas et le parfum des fleurs d’acacias, les odeurs du suisse que ma grand-mère confectionnait et de la daube de ma mère.Il y avait aussi ces effluves d’écorces d’orange ou de pommes qui brulaient lentement sur la plaque en fonte du fourneau de Madame Lézarme. Ou encore celle du pain grillé que Madame Yvernault préparait pour ne rien perdre comme elle disait. Mais surtout ça embaume le souvenir de mon enfance !

Si la maison du bonheur existe, elle doit ressembler à la maison des Bosses, celle où mon père est né, là où j’ai fait mes premiers pas, connu mes premières aventures et me premiers chagrins, rencontré mes premiers amis… là où j’allais vivre mes dix premières années.

jeudi 29 mai 2008

Le fils prodigue...

Les premières douleurs apparurent dans le milieu de la nuit, après ce merveilleux après-midi passé avec Aimé dans le parc de la polyclinique. Ils avaient encore évoqué le visage de leur enfant qui allait naître, de la brassière que la mère d'Aimé avait fini depuis plus de trois mois... "On sait jamais, s'il arrive plus tôt... et puis je l'ai fait bleu, parce-que ce sera un garçon ! Claire a un ventre bien pointu, ce ne peut être qu'un petit gars !" Elle savait de quoi elle parlait la grand-mère, elle qui avait donné naissance à six filles et deux garçons. Et puis surtout ils avaient parlé de l'avenir, de ce demain qui ne serait plus jamais le même.

Mais toutes ces images, ces instants de bonheur furtifs, disparurent très vite avec l'arrivée des premières contractions. Claire savait que la souffrance allait grandir. Sa mère l'avait prévenue "Tu vas en baver, faire un gosse c'est pas une partie de plaisir !". Un peu plus de réconfort l'aurait sûrement rassurée, mais ce n'était pas le genre de sa mère qui trouvait dans ses origines bretonnes, cette force et cette dureté qui l'empêcha toute sa vie de laisser parler son cœur. Elle savait qu'Aimé était là, elle l'avait aperçu tandis qu'on la conduisait sur un chariot dans la salle d'accouchement. Curieusement à l'arrivée du docteur Rosier, les douleurs diminuèrent... mais ce ne fut qu'un court instant de répit. Des heures à sentir son ventre se durcir, se tordre, se rétrécir... l'angoisse grandissait. Les visages des infirmières se fermaient un peu plus à chaque contraction. Derrière ses lunettes, le docteur Rosier accompagnait du regard les efforts de Claire, ses paroles ne suffisaient pas à la rassurer. Il venait de parler de spatules, et elle avait vu arriver deux cuillères brillantes. La seconde qui suivit, le froid du métal pénétrant ses entrailles lui arracha un cri. Une minute interminable lui fit revoir tout son parcours... elle partait, son corps n'en pouvait plus, la douleur était trop forte. "C'est un garçon !" s'écria le docteur. Ce sont les dernières paroles que Claire entendit avant de perdre connaissance.

"Réveillez-vous, madame, vous avez un beau garçon ! Madame, réveillez vous !" La dernière gifle que Claire avait reçue, c'est sa mère qui la lui avait donnée et elle ne se souvenait plus pourquoi. Et ce matin, cette gifle que l'infirmière venait de lui donner, c'était une sorte de bénédiction, une façon de lui dire que maintenant elle était une maman et qu'elle n'avait plus qu'une raison de vivre : son fils.

Mais où était-il son fils ? Après tant de souffrance, de mois d'attente, elle savait qu'il était arrivé, mais il n'était pas là ! L'angoisse revint, plus forte, plus intense. Que se passait-il ? Pourquoi lui avait-on enlevé son enfant ? Son cœur se mit à battre très fort, dans sa tête tout se bousculait... ce n'était pas possible, elle n'avait pas fait tout ça pour en arriver là ! On lui avait dit que des fausses couches, ce n'était pas bon, que les grossesses qui suivaient étaient risquées, surtout pour l'enfant. On pouvait avoir des mongoliens comme le fils Jacob qui habitait à côté de chez eux ! Et le docteur Rosier, il est où ? Pourquoi n'est-il pas là ? Et ce grand gaillard brun que tout le monde appelle docteur Bernard, que fait-il là ?

Dans un effort venu du fond de son ventre, elle cru s'écrier "où est mon bébé ?", mais seul un filet de voix se fit entendre de ceux qui l'entouraient. "Ah, vous voilà de retour parmi nous ! Félicitations vous avez bien travaillé, vous avez un beau bébé de 3,8 kilos... une performance pour un premier !" C'est celui que tout le monde appelait docteur Bernard qui venait de lui parler. "Où est mon bébé ?" supplia-t-elle avec plus de force. "Soyez tranquille, il va bien, nous l'avons mis en couveuse après l'épreuve qu'il vient de subir, il avait besoin d'un peu de chaleur"... "Et, comment est-il ?" osa à peine demander Claire. "Comment ça, comment il est, il est magnifique... un beau petit rouquin...". Aimé venait d'être autorisé à entrer dans la salle d'accouchement. Il se précipita sur Claire en pleurs, "Il est beau tu sais !". Avec un sourire rempli de fatigue et de bonheur Claire répondit "Jean Michel, c'est un joli prénom..."

mardi 27 mai 2008

Un beau dimanche...

Ce dimanche là, l'air était plus doux qu'à l'habitude. L'automne avait pris sa place et dans le grand parc de la polyclinique de Valence le soleil jouait à cache-cache avec les tilleuls et les grands peupliers. Le calme du lieu aurait du être apaisant pour Claire, mais en ce 30 octobre 1955, l'inquiétude et l'angoisse envahissait cette future maman qui espérait chaque jour cette naissance tant désirée et attendue comme un cadeau du ciel.

Cet enfant, elle et l'homme de sa vie, l'homme d'une vie, ne l'espéraient plus. Il avait fallu de l'amour, beaucoup d'amour et un médecin compréhensif et attentif pour qu'après deux fausses couches, à 31 ans, Claire porte un enfant jusqu'au terme d'une grossesse compliquée.

Mais en ce jour, les souffrances, les galères s'effaçaient pour laisser la place à l'impatience que connaît toute famille dans l'attente d'un "heureux évènement"....

En cette fin de matinée, Aimé avait rejoint Claire dans le parc. Ce futur papa n'en revenait pas, il n'y croyait toujours pas. Lui, il allait être père ! Un enfant ! Une fille, un garçon... qu'importe, même si au fond de lui il espérait une fille, pour l'instant son seul souci était de voir arriver ce bébé qui allait être toute sa fierté et dont il savait déjà qu'il serait unique.

"On ne défit pas la nature disait-il, on la subit et on la respecte". En une phrase, il avait résumé tout son parcours, fait d'humilité et de combats. Mais aujourd'hui, la victoire était éclatante et venait tout effacer : la guerre, la captivité, la jeunesse perdue. Il allait rejoindre la grande armée des "baby boomer" prenant ainsi une revanche sur la vie qui, jusqu'à aujourd'hui, ne lui avait guère fait de cadeaux.

Claire n'en pouvait plus, ce gosse se faisait attendre. Le docteur Rosier le lui avait dit "Pour avoir cet enfant, il vous a fallu du temps, de la patience. C'est maintenant qu'il vous en faut le plus !" Ces paroles résonnaient encore dans ses oreilles, mais la fatigue et l'attente intolérable l'empêchaient d'être aussi docile qu'elle l'avait été durant près de neuf mois. Même le sourire attendri d'Aimé ne la calmait pas. Elle en avait assez, elle ne se supportait plus, désormais elle voulait affronter l'épreuve de sa vie de femme, vite !

Mais elle savait aussi que les prochaines heures allaient être les plus longues de son existence.